Ainsi s'achève, Monsieur le Président de la République française, le formulaire gratuit 13-0021 de Mme Bâ.
Au grand soulagement des ongles violets et démesurés de la secrétaire Marysa : Tu n'aurais pas pu avoir une vie plus simple, madame Bâ, et moins enchevêtrée ? Je me casse les doigts à taper tant de pages… C'est elle qui a remplacé Roxane, la démissionnaire. Marysa, rien ne lui fait peur. Ni les menaces au téléphone ni les charmants cercueils miniatures envoyés par la poste. Elle n'a pas fini sa période d'essai que, déjà, elle régente le cabinet. Me Fabiani va devoir filer doux.
Un conseil en passant, Monsieur le Président. Quand vous viendrez de nouveau rendre visite à l'Afrique, ménagez-vous des entretiens secrets avec les secrétaires : en elles réside le vrai pouvoir. Les dictateurs à vie, ministres ou directeurs ne sont que des marionnettes. Les ongles violets tiennent tous les fils.
Perdu derrière son grand bureau, mon cher Benoît me sourit tristement. On dirait qu'il ne veut pas finir. Il feuillette et refeuillette notre œuvre commune.
— Vous voyez, Marguerite, comme nous sommes, nous, gens du Nord. Au début de l'histoire, nous nous impatientons. Et puis, au fil des jours et des mots…
— Maître Fabiani, mon petit-fils attend.
— Bien sûr, bien sûr, madame Bâ. L'esprit toujours aussi pratique, n'est-ce pas? Jamais de sentiment, jamais d'états d'âme. Et moi, où avais-je la tête ? Juste trois mots, trois petits mots pour finir, une tradition dans notre métier : Sauf à parfaire.
— Pardon ?
— Sauf à parfaire, madame Bâ. Ainsi concluent leurs mémoires tous les avocats consciencieux. Quel être humain raisonnable peut prétendre à la perfection, madame Bâ ?
— Comme vous voudrez. Je reprends donc la dernière phrase.Il résulte de tout ce qui précède que j'ai, Monsieur le Président de la République française, l'honneur de vous présenter un recours gracieux contre la décision en date du 17 septembre 2000 par laquelle votre dame consul général adjoint a rejeté ma demande de visa. Sauf à parfaire.Je signe où ?
— Merci, madame Bâ.
— Et maintenant ?
— Hélas, il nous reste le plus pénible : attendre.
— Ça répond vite, un Président ? Ça répond à temps pour sauver un enfant sans défense ?